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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 22:46

Lendemain de fêtes, j'ai la gueule de bois. Le service est désert, je crois même qu'il est vide, fermé pour dysfonctionnement grave ou épidémie de gastro, je ne serais pas étonnée. Le sapin est desséché et les branches tombantes, sa seule présence m'apparait inconvenante et déplacée dans mes yeux bouffis.

 

Il y a la tristesse des solitaires, des abandonnés la veille de Noël et il y a la mienne, que je traine en ce jour rayonnant de vacances scolaires où ma solitude annuelle me saute à la gorge, abandonnée et livrée à moi-même,  à mon bordel, de ses feuilles en pagaille, de ces post it qui s'amoncellent, de cette pyramide dorée et chocolatée qui me nargue dès 9H30 le matin.

Je me plonge dans mes post it, les courriers non envoyés, les patientes qui se présentent timidement, presque étonnées de me voir là, prête à les accueillir quoique je fasse. Gueule de bois ou pas, je semble avoir retrouvée les bonnes convenances, le sens de l'accueil inconditionnel, les bras grands ouverts. Je dois avoir un élan de générosité, voici mon cadeau de fin d'année. Si elles savaient que je compte sur elles pour me réveiller et me donner envie de rester jusqu'à 19H ce soir. Si elles savaient qu'elles ne sont qu'un prétexte pour ne pas regarder cette boite dans mon dos et me permettre de tirer jusqu'au déjeûner, sans y avoir eu recours.

Ma technique fonctionne: je sors le ventre vide de mon bureau mais agacée par ces mouches intempestives qui volètent autour de mes cheveux. Le creux dans mon ventre annonce déjà ma crainte du jour: la fameuse réunion du lundi, d'après le déjeûner que j'ai appris à aimer et désaimer. De nouveau, la paresse m'envahit et je sais, avant même d'avoir entamée mon entrée aux relents de restes de la semaine dernière, sous-effectif oblige, que je goberais mon gros cachet miracle dans une lampée de café pour supporter de m'enfermer avec tous ces cadres autour de moi.

Mais parce que j'ai le sens du partage et que j'y vois une expérience pour mon exercice de style sur la sociologie des organisations, j'amène la grosse boîte avec moi et je l'installe au milieu de la table, histoire de voir si au moins le chocolat, on arrive à se le partager, sans arrières pensées.

On la contemple, presque timidement, j'entends les "oserais-je ", "oserais-je pas", on s'installe mais j'introduis les joueurs en gobant un d'entrée de jeu, geste réactionnel et défensif à ce que je redoute et qui va venir, pernicieusement.

Et c'est partie pour le sujet de cette réunion hebdomadaire, une sorte de Devoir Sur Table grandeur nature et 15 ans trop tard où l'on passe en revue l'avancée du projet de sortie de chaque patiente dont je ne suis pas officiellement seule responsable et actrice mais où je dois faire des figures imposées ou libres, selon l'humeur de celui qui la mène, président du jury, implacable et sanguinaire. J'ai appris à étioler les arguments, à dire je ne sais pas quand je sais très bien, à ne plus argumenter ni à expliquer. J'ai compris que mes explications de texte n'étaient que de la paraphrase ou des envolées lyriques qui embarrassaient mon auditoire. Je demeure dans ce rôle de technicienne simple qu'on me demande d'endosser, à ne pas réfléchir ni à composer, ne plus être virtuose mais une simple tourneuse de pages. Pourtant on me demande de déchiffrer ma partition et celle des autres, de rendre des comptes, de faire du par coeur et d'analyser mais non, définitivement non, je deviens une tourneuse de pages. J'ai comme même droit à deux questions pertinentes "C'est quoi une IP?" C'est quoi une A.., euh..E..M, euh..O??

Passons, passons, je m'abstiens, faisant des phrases de dix mots à peine, ravalant mon ressenti de ne devenir qu'un pantin articulé dont on se satisfait.

Alors c'est mou, dénué de toute substance et les mains plongent une à une dans la pyramide monochrome, hésitant entre celui du sommet ou ceux du socle, pour se donner une consistance de ne pas tousser mais de machouiller en concert. C'est rapide, sans frioritures, ca répète "je sais, je sais", ca anhile d'autant plus mon désir. Je m'enfonce et repart, ma boîte sous le bras.

Le cours de la journée reprend où je m'échigne sur ce signalement que l'on m'a abandonné, comme une chose évidente.

Et puis, je la croise, un peu par hasard, en sortant prendre l'air. J'ai un cadeau pour elle, je l'avais presque oublié." Montez, montez" lui dis je.

Elle arrive 5 minutes plus tard, ses deux filles sous le bras, 2 mois et 6 ans. Je l'aime bien cette gamine, elle est vivante, elle est chaleureuse mais je suis prise de court, là.

Alors j'explique à sa maman qu'il y a peut être une maison, là, pas loin qui l'attend pour elle et son bébé. La grande vit chez le papa mais peut être qu'elle pourra y aller, comme avant, quand sa maman habitait encore dans sa maison, avant de se faire cogner par son dernier mec.

Il y a les yeux brillants d'émotion de la maman, il y a les yeux de cet enfant qui me regarde comme si j'étais une princesse ou la Mère Noël. La gamine a 6 ans, elle y croit dur comme fer comme si elles y partaient demain parce que "je veux vivre avec maman tout le temps". Alors je lui explique que rien n'est sûr, qu'il faut attendre encore un peu, je lui sors ce discours d'adulte démesuré quand le reve des enfants nous saute à la gueule, démesuré mais à la hauteur de leur désir.

Elles sont toutes les trois face à moi et c'est mon instant de poésie  à la simplicité désarmante, un rêve d'enfant qui semblait s'incarner sous mes yeux mais que je tentais malgré moi de devoir freiner pour lui épargner des désillusions trop cruelles.

Je lui ai soufflé à l'oreille de croiser les doigts très forts, la maman était émue, moi tout pareil et l'on s'est quitté avant de se revoir pour préparer son rendez vous avant son hypothétique future maison.

Ca m'a émue quelques minutes à peine après avoir refermée la porte et constatée que les chocolats dorés dans un moment de joie, je ne les avais même pas proposés, les maintenant contre moi comme un trésor inutile et d'égoïste , peur de ne pas avoir assez ma dose dans un instant d'anxiété majeure. Et alors? Et de 2!

J'ai enquillé le reste de ma sainte journée, accueillant dans un mouvement de solidarité les angoisses et les états d'âmes d'une femme dont je ne sais que faire et qui sortait qu'un entretien psychiatrique, constatant que pour la énième fois, on lui avait dit n'importe quoi, d'un dispositif que l'on prétend connaître mais qu'on ignore, l'assurance de 35 ans d'expérience donnant le savoir en tout.

Doutant alors de la bonne santé psychique de la patiente pour de bonnes raisons psychiatriques, je m'en vais vérifier la véracité de ses propos que l'on me confirme, allégremment et avec un sourire, bien entendu. Face à si peu de connaissances et de naïveté, je retiens un sourire et mes arguments. Mais je sors un son inintelligibles malgré moi quand je vois trois grosses boules dorées, socle de ma pyramide, trônée sur le bureau en chêne clair, chipés discrètement quelques heures plus tôt.

Je montre au contrôleur des travaux finis que mon signalement est propre et prêt à être envoyer. Il s'excuse de corriger deux ou trois fautes d'orthographe, vérifie que ma susceptibilité ne sera pas atteinte, rajoute un mot ou deux et dit "c'est bien". Tant mieux, j'en ai un autre pour demain.

Et de 3 et de 4...! Je m'en vais le ceur lourd et l'estomac tassé par ce trop plein de chocolat et d'une journée mal digérée.

 

 

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