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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 23:48

L'orage gronde au dessus du 9ème parallèle et le frog épais plane depuis des jours, obturant les contours des murs du couloir. Je plisse les yeux à chacun de mes pas, pince la bouche à chaque rencontre impromptue, tentant d'éviter les pièges silencieux, les trous que je devine et qui parsèment mon parcours, les mains malveillantes qui me frôlent.

C'est la nuit permanente, malgré l'hiver qui tarde à arriver, et le danger est niché derrière chaque porte, chaque question que j'évince. J'ai le regard à terre, le coeur tremblant, mes jambes se dérobent sous moi dès que l'on m'adresse la parole, j'aspire l'air avant de prendre le téléphone. Ma porte reste fermée, j'ai mal au dos dès 11Hrs le matin et je contemple les coordonnées de mon médecin traitant, hésitante à l'appeler pour lui quémender un arrêt maladie de 15 jours, hésitante par peur de ne jamais pouvoir revenir.

Et puis, elle s'annonce dans la voix de la secrétaire. Une visite impromptue d'une ancienne héroïne de ce parrallèle qui secoue mes bases, me donne mal au ventre et déchire mes rêves nocturnes.

 

-"Elle est comment?

-Comment ça?

-Bah ça a l'air d'aller?

-Oui, oui, on dirait"

-Dis lui de monter. Je suis dispo."

 

Plusieurs mois que je pensais à elle, régulièrement. J'ai sorti son dossier il y a trois mois pour lui téléphoner, il est toujours là sous la pile, resté inerte. Je suis inquiète de sa venue, inquiète de mon état pour la recevoir mais j'ai pris mes précautions par téléphone : oublier l'accueil inconditionnel, je m'autorise à filtrer.

C'est l'histoire d'un épisode précédent, d'une jeune peule de Guinée traquée, deux grands yeux noirs silencieux, apeurés et défiants d'une silhouette agile et longue, de fesses bombées, d'une histoire jamais racontée et jettée comme une bombe un an plus tard, d'une psychologue à mes côtés bouleversée, d'un exil forcé dans la nuit, et de moi, bourrée jusqu'à la gueule 4 hrs plus tard. De larmes bouleversantes, d'une silencieuse dans le service que personne ne s'en souvient, d'un duo magistral avec une psychologue, d'une sortie qui nous a fait mal, de sa tête relevée, plus défiante que jamais, emmurée dans sa solitude et son courage de non-dits et nous à terre, prêtes à nous agenouiller.

On a repensé à elle bien souvent, jamais inquiètes, maitrisant l'art de la survie. On aurait voulu des nouvelles et aujourd'hui elle est là, prête à m'en donner. Mais l'orage demeure et je crains son apparition au détour du couloir. J'ouvre ma porte pour me donner du courage: on ne fait pas de visites de convenance à l'assistante sociale.

 

Et elle apparait, plus jolie et souriante que jamais. Son regard si sombre jadis brille de joie et d'émotion. J'ai l'élan, le tonnerre s'éloigne. Je suis avec elle. Je l'embrasse, elle me souhaite une bonne année. Elle est venue pour cela. Son petit garçon fait ses premiers pas, elle va bien. Elle a déménagé, vit dans un centre pour demandeur d'asile, elle attend la réponse de la préfecture mais qu'importe...elle est malade alors exil ou pas, elle l'aura son titre de séjour. Elle n'est plus sauvage ni traquée. Elle est bien, jeune fille de son temps prête à embrasser l'avenir. Elle me dis juste que j'étais gentille, qu'elle reviendra donner de ses nouvelles, qu'elle pense aussi à la psychologue et elle repart, l'émotion dans le regard, miroir de la mienne.

 

Je referme la porte derrière elle, emprisonnant mes larmes dans mon réduit de bureau. Mes courants chauds ont rencontré mon courant d'air froid et l'orage éclate, incapable de refreiner mes larmes, embarquée dans des sanglots hocquetants de peine et de joie. Par la fenêtre, le soleil est rayonnant et envahi mon espace de serial social.

 

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